Instinctivement, on pourrait se dire qu’elle doit systématiquement être ordonnée : pourquoi la solliciterait-on si l’issue du litige n’en dépendait pas ? La jurisprudence est d’ailleurs souple en la matière puisqu’il suffit que le litige potentiel ait un objet et un fondement suffisamment caractérisés ou encore que les prétentions des demandeurs ne soient pas manifestement vouées à l’échec (Cour de cassation, Chambre civile 2, 19 janvier 2023, 21-21.265).
Deux limites sont néanmoins à noter.
D’une part, il faut que l’action au fond envisagée ne soit pas « manifestement vouée à l’échec » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, 18 janvier 2023, 22-19.539) car, alors, l’issue du litige n’en dépend pas (exemples : demander une expertise sur un désordre de nature décennale plus de dix ans après la réception ou sur un vice caché plus de deux ans après sa découverte).
D’autre part, l’article suivant du CPC dispose qu’ « en aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve ». On ne peut donc pas solliciter une expertise pour prouver un fait qu’on est en mesure de prouver autrement.
À titre d’illustration : dans une ordonnance du 4 juillet 2024, le Président du Tribunal Judiciaire de NANTERRE vient de rejeter une demande d’expertise en ces termes :
« aucun document n’est contradictoire, et il est impossible de savoir s’il s’agit de nouveaux désordres ou s’il s’agit de résidus des anciens désordres pour lesquels les travaux réparatoires ont été faits récemment, aucune expertise amiable contradictoire n’ayant été menée. […] Par ailleurs concernant le préjudice matériel subi à l’occasion des désordres initiaux, il n’est pas établi qu’il y ait nécessité d’une expertise judiciaire pour les chiffrer » (TJ Nanterre, 4 juill. 2024, n° 23/01613).
C’est pour lutter contre ces demandes d’expertise judiciaire « automatiques » que le Tribunal judiciaire de Nanterre, dans son récent Guide des bonnes pratiques co-écrit avec le Barreau des Hauts-de-Seine (notamment ses Commissions Droit Immobilier et Modes Alternatifs de Règlement des Différends) considère que « l’existence du motif légitime doit être démontrée. Il est recommandé de produire une expertise amiable contradictoire et la preuve de démarches amiables avant de solliciter une expertise judiciaire ».
Ces propos synthétisent les deux limites ci-dessus évoquées : il faut que le litige en dépende et il faut qu’il soit impossible de démontrer les faits autrement que par le biais de l’expertise judiciaire. Je reviendrai plus amplement sur ce guide des bonnes pratiques dans un prochain article.
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